Comment le parquet européen va-t-il fonctionner ?
Seront essentiellement décryptés les articles : 8 ; 9 ; 10 ; 11 ; 12 et 13. Lire ici le règlement
L’étude du fonctionnement du parquet européen passe nécessairement par l’analyse de sa structure. La mise en place de deux niveaux à la fois « centralisé » et « décentralisé » [1] a toujours fait consensus. En effet, un système exclusivement européen, détenant ses propres organes d’enquête pouvant s’immiscer directement dans les États membres, aurait été difficilement acceptable tant d’un point de vue juridique que politique. À l’inverse, une structure purement nationale, sans organe de direction européen, n’aurait pas pu remplir l’une des valeurs ajoutées offertes par le parquet européen comme la coordination des enquêtes et des poursuites au sein de l’Union européenne.
Néanmoins, l’organisation centrale de l’organe s’est, quant à elle, retrouvée au cœur des débats après le rejet de la proposition initiale en 2013[2]. L’idée d’une collégialité a finalement été retenue sous l’impulsion des États, refusant l’européanisation totale du degré central. Ce choix ne sera pas sans incidence sur le caractère bureaucratique du parquet européen qui devrait avoir pour conséquence de ralentir voire de paralyser son action.
Une structure à double degré : centrale et décentralisée
La structure à double degré du ministère public européen s’est imposée dès la genèse du projet[3]. Cette dernière permet de confier : à l’organe purement européen, la direction centralisée des recherches et la coordination des poursuites et aux organes décentralisés, l’exercice effectif des poursuites dans les États membres.
Le rôle ministère public européen centralisé sera donc de synchroniser les actions concrètement menées au sein du niveau décentralisé par les procureurs européens délégués. En d’autres termes, cette structure hiérarchisée aura pour effet de dessiner une action publique, voire plus largement une politique criminelle, de l’Union européenne uniforme[4].
À cet égard, le règlement adopté affirme explicitement que la « supervision, la direction et la surveillance »[5] du niveau décentralisé seront réalisées par « le bureau central », lequel permettra « de garantir la cohérence de son action, et partant, une protection équivalente des intérêts financiers de l’Union »[6].
L’action concrète sera donc menée parallèlement au sein des États membres par les procureurs européens délégués. Contrairement aux prévisions initiales du Corpus juris, ces derniers ne seront pas « itinérants » [7]. Ainsi, le règlement, en considération de raisons souverainistes, ne permet pas au procureur européen délégué de se mouvoir du territoire d’un État à un autre. Afin de contrebalancer cette limite, il leur est exigé de s’assister mutuellement[8]. Une atténuation doit néanmoins être relevée puisqu’il est exceptionnellement permis au procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire, du niveau central, après approbation de la chambre permanente, d’agir directement et personnellement au sein des États membres « pour assurer l’efficacité de l’enquête ou des poursuites » au regard de la gravité de l’infraction[9]. Or l’octroi d’un tel pouvoir d’action, sans passer par le niveau décentralisé, est discutable.
L’organisation collégiale du niveau central
Après le rejet de la proposition initiale par les Parlements nationaux, lié essentiellement au choix d’une organisation purement européenne du niveau central, de nombreux débats institutionnels ont eu lieu avant la réécriture du texte [Lire l’article sur le sujet]. Alors qu’originairement la collégialité avait toujours été évincée au profit d’un « procureur unique », afin d’éviter qu’émerge « un nouvel organe bureaucratique, centralisé, coûteux financièrement » [10], la commission, pour se conformer aux volontés étatiques[11], en a décidé autrement en optant, comme toujours, pour le compromis[12]. En somme, la collégialité était donc un gage de l’acceptation du projet.
Concrètement, le « bureau central » comprend un représentant par État membre appelé « procureur européen » au sein duquel est élu un Chef de parquet[13], assisté par deux adjoints et du directeur administratif[14] ; sous sa présidence, l’ensemble des procureurs européens forme le collège. Ce dernier a pour mission de contrôler les seules activités générales de l’organe[15], par l’adoption de décisions sur des points stratégiques, « ainsi que sur des questions générales soulevées par des dossiers particuliers »[16]. De surcroît, il est compétent pour mettre en place des chambres permanentes[17] qui, contrairement à lui, jouent un rôle dans les affaires individuelles.
À ce titre le règlement intérieur devrait en préciser les modalités, notamment quant à la répartition de la charge de travail qui pourrait être réalisée sur « la base d’un système d’attribution aléatoire »[18] ou encore quant à la prévision d’un mécanisme de remplacement entre procureurs européens pour divers motifs comme l’absence, l’indisponibilité[19] et l’existence d’un conflit d’intérêts personnel[20]. Les chambres permanentes sont composées de deux procureurs européens et d’un président[21]. En dirigeant « les enquêtes et les poursuites menées par les procureurs européens délégués », en assurant la coordination de l’action de l’organe dans les dossiers transfrontières et en mettant en œuvre les décisions générales adoptées par le collège[22], elles détiennent un rôle essentiel. Plus précisément, ces dernières font le choix de la réponse pénale[23] et disposent d’un réel pouvoir d’injonction à l’égard du niveau décentralisé[24]. Afin de mener à bien leurs missions, elles ont également « accès, sur demande, à toutes les pièces du dossier en vue de la préparation des décisions »[25], dès le début de l’enquête.
L’exigence de la majorité simple au sein du niveau central
Le choix d’une telle organisation suppose que les décisions du niveau central soient prises par une chambre voire un collège, représentant plusieurs États membres afin qu’ils y soient représentés. Or, en pratique, comment seront prises ces décisions collectives ? Un processus décisionnel approprié s’impose. Sans surprise, la majorité simple a été favorisée avec l’octroi d’une voix pour chaque membre, mais le chef du Parquet ou le président détient une voix prépondérante en cas d’égalité[26], afin de ne pas bloquer l’action de l’organe. Néanmoins, il est permis de douter qu’un tel système soit propice à la réactivité de l’autorité de poursuite européenne, laquelle est pourtant impérative. En définitive, à travers la volonté de préserver les États, le règlement finit par complexifier le pouvoir de direction du ministère public européen alors que l’organisation du niveau décentralisée permettait de garantir leur souveraineté[27]. Pour autant le texte consacre une hypothèse, strictement encadrée[28], ayant pour effet de déléguer au seul procureur européen en charge de la surveillance de l’affaire le pouvoir de renvoyer l’affaire devant la juridiction ou de décider de son classement sans suite au regard de raisons exclusivement juridiques.
L’organisation du niveau décentralisé
Au moins deux procureurs européens délégués par États devront mener concrètement l’action publique européenne[29]. Ils « agissent au nom du parquet européen dans leurs États membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conféré »[30]. Ces derniers seront soumis de manière prépondérante au droit procédural de leur État d’exercice, dont la détermination devra être précisée, qui interrogera plus largement quant au respect du principe de la légalité, de l’égalité des justiciables et in fine de leur sécurité juridique [Lire l’article sur le sujet]. De surcroît, le règlement donne la possibilité à chaque État de choisir s’il souhaite que le procureur européen délégué cumule ou non ce rôle avec ses fonctions nationales[31]. Il semblerait que le maintien de la « double casquette » ait pour incidence de favoriser une double voire triple chaîne de commandement qui n’apparaît pas souhaitable au regard de l’indépendance hautement prônée de ce dernier. Le projet de loi présenté par le gouvernement, le 29 janvier 2020, a fait le choix d’évincer le cumul des fonctions afin que les procureurs européens délégués, exerçant en France, se concentrent exclusivement sur leurs missions européennes, ce qui apparaît louable [Lire l’article sur le sujet]. Quoi qu’il en soit, ils devront coopérer loyalement tant avec les autres procureurs européens qu’avec les autorités de poursuite nationale[32].
[1] Art. 8 § 1 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen (ci-après « règlement ») : « Le Parquet européen est un organe indivisible de l’Union fonctionnant comme un parquet unique à structure décentralisée. »
[2] Proposition de règlement COM (2013) 534 final du Conseil du 17 juillet 2013 portant création du parquet européen.
[3] Art. 18 § 3 du Corpus juris.
[4] Concrètement, elle correspond « d’une part, à l’analyse et à la compréhension d’une affaire particulière de la cité : le phénomène criminel, d’autre part à la mise en œuvre d’une stratégie pour répondre aux situations de délinquance ou de déviance », C. LAZERGES, Introduction à la politique criminelle, Paris, L’harmattan, 2000, p. 7.
[5] Art. 22 du dispositif du règlement ; Art. 8 § 2 du règlement.
[6] Art. 22 du dispositif du règlement.
[7] M. DELMAS-MARTY (dir.), Corpus juris : portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, Paris, Economica, 1997, p. 85.
[8] Art. 31 § 1 du règlement.
[9] Art. 28 § 4 du règlement.
[10] Commentaire de l’art. 18 de la première version du Copus Juris, 1997.
[11] En considération de la volonté des Parlements nationaux et sans surprise du Conseil, Conseil de l’Union européenne, Conseil JAI, note d’information, Bruxelles, 12 juin 2015.
[12] §3 de la communication de la Commission.
[13] Il s’agit de Laura Kövesi.
[14] Art. 11 et 8 § 3 du règlement.
[15] Art. 9 du règlement.
[16] Art. 9§ 2 du règlement.
[17] Art. 9§ 3 du règlement.
[18] Art. 10 § 2 du règlement.
[19] Art. 12 § 1 du règlement.
[20] Art. 12 § 2 du règlement ; Art. 21 prévoit les modalités d’élaboration du règlement intérieur du parquet européen par le chef du Parquet qui doit être adoptée par le collège à la majorité des deux tiers.
[21] Art. 10 § 1 du règlement.
[22] Art 10 § 2 du règlement.
[23] Art. 10 § 3 du règlement : les chambres permanentes peuvent prendre la décision de porter l’affaire en jugement ou au contraire de la classer sans suite, de contraindre les procureurs européens délégués à user d’une alternative aux poursuites, de renvoyer l’affaire aux autorités nationales ou encore de rouvrir une enquête.
[24] Art. 10 § 4 du règlement.
[25] Art. 10 § 6 du règlement.
[26] Art. 9 § 5 et 10 § 6 du règlement.
[27] § 20 du dispositif du règlement.
[28] Art 10 § 7 du règlement : cette possibilité est strictement encadrée par deux critères alternatifs : la gravité de l’infraction ou sa complexité, se cumulant avec l’existence d’un préjudice inférieur à 100 000 euros causé ou susceptible d’être causé aux intérêts financiers de l’Union.
[29] Art. 13 § 2 du règlement.
[30] Art. 13 § 1 du règlement.
[31] Art. 13 § 3 du règlement.
[32] § 69 du dispositif et Art. 5 § 6 du règlement.
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