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À quelle procédure pénale le parquet européen sera-t-il soumis ?

Seront essentiellement décryptés les articles 26 ; 30 ; 31 et 42 [Lire ici le règlement].

La création du parquet européen a principalement pour finalité de bouleverser l’inertie des États, dans la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne [Lire l’article sur le sujet]. À cette fin, ils pourront user de leurs prérogatives directement sur leur territoire, tout en étant coordonné par le niveau central de l’organe. Or à quel droit procédural les procureurs européens délégués, exerçant effectivement l’action publique dans les États, seront-ils soumis ? Des hypothèses plurielles sont envisageables : la première consisterait à doter le ministère public de prérogatives purement européennes[1], par la création d’une procédure pénale autonome ; la deuxième serait hybride en mêlant procédure pénale européenne et nationale ; enfin, la troisième resterait ancrée dans les mécanismes traditionnels de la coopération en matière pénale, subordonnant l’organe aux procédures pénales nationales encore très disparates. Si le droit substantiel, lié à la compétence matérielle du parquet européen, est déjà harmonisé par la Directive PIF, il n’en est pas de même s’agissant du droit procédural, même si des points de convergence existent, notamment quant à la protection des droits fondamentaux, sous l’impulsion du Conseil de l’Europe et plus récemment de l’Union européenne.

Le règlement s’est détaché des propositions originaires du Corpus juris, prévoyant un socle commun de règles européanisées, en prônant un système hybride, avec une prépondérance certaine des normes nationales. Cette dépendance aux droits internes entraîne une seconde difficulté, celle de sa détermination qui aura des incidences sur le fonctionnement du ministère public européen. En effet, de quelle manière est-il possible d’identifier la procédure applicable, parmi les vingt-deux législations existantes au sein de chaque État membre ? Selon elle, ses prérogatives et ses limites seront amenées à varier. Il s’agira alors de saisir la manière dont ce droit national sera désigné et plus largement si un droit européen du droit national applicable existe.

L’importante dépendance du ministère public européen aux procédures pénales nationales

L’étude des textes ayant jalonné l’histoire du parquet européen démontre l’importance du droit national en tant que complément aux lacunes rédactionnelles du droit européen. À cet égard, le traité de Lisbonne délègue au droit dérivé le pouvoir d’envisager les règles applicables à : l’exercice de ses fonctions, la procédure, l’admissibilité des preuves et le contrôle juridictionnel des mesures qu’il réalise[2]. En d’autres termes, le silence du droit primaire devait être comblé par l’éclairage du règlement. Dès son préambule, il affirme explicitement que le ministère public européen, même s’il est un organe de l’Union, devra rester ancrer dans les structures juridiques des États[3].

Procédure pénale justice

À la lecture de diverses dispositions, il apparaît avec la force de l’évidence une subordination notable aux droits nationaux. À titre d’illustration, les actes d’enquête qu’il pourra utiliser retiennent l’attention : s’il est muet sur les mesures non coercitives, par nature ou au regard de l’existence d’un consentement abdicatif, il apporte des précisions quant aux actes attentatoires. Avant de les lister, il encadre leur réalisation en imposant le respect des principes directeurs du droit pénal à savoir, la proportionnalité et la nécessité. 

L’usage des mesures coercitives, ayant pour finalité la recherche des crimes et des délits, doit être justifié[4] et concerner une infraction punie d’au moins quatre ans d’emprisonnement[5] ; il faut souligner que le quantum des peines ne demeure pas harmonisé au sein des États membres. Néanmoins, le contenu concret des mesures que les procureurs européens délégués pourront mettre en œuvre demeure minimaliste à l’aune du « gigantesque renvoi aux droits nationaux » qui est opéré[6], toujours dans une optique de compromis.

Le règlement prend la peine de lister les six mesures, sans les définir et sans en préciser les modalités, dont devra obligatoirement disposer l’autorité de poursuite européenne à savoir : la perquisition ; la production de tout objet ou document pertinent et de données informatiques stockées ; le gel des instruments ou des produits du crime, y compris les avoirs ; l’interception de communications électroniques reçues ou passées par le suspect ou la personne poursuivie et enfin le repérage et le traçage d’un objet par des moyens techniques, les livraisons contrôlées de biens étant inclues[7]. De surcroît, il est précisé que des restrictions, conformément au droit national applicable, sont possibles en fonction de la gravité des mesures mises en œuvre[8] ou au regard « de certaines catégories de personnes ou de professionnels juridiquement tenus à une obligation de confidentialité »[9]. En dehors de cette liste minimaliste, ils seront habilités à demander ou à ordonner l’ensemble des mesures prévues par le droit interne applicable[10]. Il est important de relever que le Projet de loi, ayant pour objectif d’adapter la procédure pénale française à l’immixtion du parquet européen, envisage de lui laisser le choix, sans en préciser les modalités, entre le cadre de l’enquête de police et celui de l’instruction. Ainsi, son insertion dans les Etats membres pourraient avoir pour effet de transformer indirectement les procédures pénales nationales [Lire l’article sur le sujet]. En outre, le régime de contrôle juridictionnel est, à nouveau, dépendant des droits nationaux[11] ; les États membres disposeront alors toujours d’une marge de manœuvre certaine quant à l’identification de son objet, de son moment et de ses modalités[12]. La sécurité juridique des personnes poursuivies par le parquet européen apparaît donc être remise en cause. Une nouvelle interrogation se dessine en filigrane : comment le droit étatique complémentaire sera-t-il déterminé ?

La détermination de la procédure pénale applicable

La détermination du droit national applicable, régissant l’action du parquet européen, en complément du minimalisme des prévisions européennes doit être précisée. Le droit applicable n’est pas déterminé clairement, mais par l’étude approfondie du règlement il est possible d’affirmer que le critère est celui de la lex loci. Autrement dit de lieu de réalisation de la mesure. Pour faciliter cette mise en œuvre, le règlement affirme que le droit applicable est celui du procureur européen en charge de l’enquête [Lire l’article sur le sujet], déterminé en amont en fonction du lieu où la plus grande partie des infractions a été commise.

procédure pénale de l'Union européenne<br />
parquet européen

Or, en pratique, cette détermination ne demeure pas toujours évidente. Afin de pallier cette difficulté, le texte propose à titre subsidiaire et de façon hiérarchisée des indices quant à sa désignation, faisant écho aux chefs de compétence classiques du droit pénal international, comme le lieu de résidence habituelle de la personne poursuivie, de l’État dont il aurait la nationalité ou de celui où le principal préjudice s’est réalisé[13].

Qu’en sera-t-il quand une mesure d’enquête devra être exécutée ailleurs que sur le territoire du procureur européen délégué en charge de l’affaire ? La récolte de cette preuve se fera en deux temps : le procureur chargé de l’enquête se prononcera d’abord sur l’adoption de l’acte d’enquête puis délèguera sa réalisation au procureur européen assistant de l’État sur lequel elle se trouvera, selon son propre droit, mais pas exclusivement. En effet, si la mesure prévoit une autorisation juridictionnelle par le droit de l’État du procureur délégué en charge de l’affaire, elle devra être donnée, peu importe les règles procédurales régissant l’État d’exécution qui s’appliqueront ensuite pleinement[14]. Ce choix est la conséquence de l’éviction du principe de territorialité européenne prôné pour la première fois par le Corpus juris. Ce cumul des normes nationales apparaît ambigu ; il a le seul mérite d’exclure tout risque de lex shopping puisque l’ensemble des exigences procédurales internes sera pris en compte.

De surcroît, le règlement vise diverses situations qui permettront au procureur européen délégué assistant de refuser l’exécution de l’acte demandé : lorsque « la délégation est incomplète ou comporte une erreur manifeste significative[15] » ; quand « la mesure ne peut pas être prise dans le délai fixé dans la délégation, pour des raisons objectives et justifiées »[16] ; dès lors qu’un autre acte moins intrusif « permettrait d’atteindre les mêmes résultats que la mesure déléguée »[17] et enfin lorsque l’acte délégué « n’existe pas, ou qu’il ne pourrait y avoir recours dans le cadre d’une procédure nationale similaire en vertu du droit de son État membre »[18]. Dans ces diverses hypothèses, le procureur assistant devra informer le procureur en charge de l’affaire dont il dépendra en vue de régler la situation, en se prêtant assistance[19]. En réalité, ces prévisions mettent en lumière une certaine défiance mutuelle entre les États membres à laquelle il faudrait, à terme, remédier.

[1] H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité judiciaire de l’Union européenne, Thèse, Université Toulouse I Capitole, 20 sept. 2019, § 432 et s.

[2]  Art. 86 § 3 TFUE.

[3] Cons. 41 du règlement.

[4] Art. 30 § 5 du règlement.

[5] Art. 30 § 1 du règlement.

[6] Expression utilisée par J. Tricot, J. TRICOT, « Lectures analytiques guidées. Quel modèle de procédure ? », RSC, 2018, p. 635 et s.

[7] Art. 30 § 1 de a) à g) du règlement.

[8] Art. 30 § 3 du règlement : concernant la production des données informatique (art. 30 § 1 c)), l’interception de communication électroniques (art. 30 § 1 e)) et enfin le repérage et le traçage (art. 30 § 1 f)).

[9] Art. 30 § 2 du règlement.

[10] Art. 30 § 4 du règlement.

[11] Art. 42 du règlement.

[12] G. GIUDICELLI-DELAGE, S. MANACORDA et J. TRICOT (dir.), Le contrôle judiciaire du Parquet européen nécessité, modèles, enjeux, Société de Législation comparée, coll. UMR de droit comparé de Paris, vol. 37, 2015.

[13] Art. 26 § 4 du règlement.

[14] Art. 31 § 3 du règlement.

[15] Art. 31 § 5 a) du règlement.

[16] Art. 31 § 5 b) du règlement.

[17] Art. 31 § 5 c) du règlement.

[18] Art. 31 § 5 d) et § 6 du règlement.

[19] Art. 31 § 5 d), §7 et §8 du règlement.