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Quelle réponse pénale le parquet européen pourra-t-il apporter ?

Seront décryptés essentiellement les articles : 35 ; 36 ; 39 ; 40 ; 42 [Lire le règlement].

 

Une fois l’enquête terminée, une réponse pénale devra être apportée par le parquet européen et plus précisément par le niveau central au travers de ses chambres permanentes [Lire l’article à ce sujet]. Traditionnellement, les systèmes nationaux font dépendre les procureurs soit du principe de la légalité, soit de l’opportunité des poursuites. Alors que le premier, suppose de poursuivre l’ensemble des infractions commises, le second, octroie une marge de manœuvre. Néanmoins, ces deux hypothèses ne sont pas hermétiques. À cet égard, le règlement a fait le choix de la mixité[1], en soumettant l’organe à la loi avec plus ou moins de tempéraments afin d’apporter une certaine souplesse à l’action menée par le ministère public européen, tout en assurant une protection uniforme des intérêts financiers de l’Union.

Par ailleurs, s’il décide de ne pas poursuivre, il pourra, en fonction de la situation, classer l’affaire sans suite voire mettre en œuvre des alternatives aux poursuites, au même titre qu’un procureur national.

Le classement de l’affaire par le ministère public européen

Le parquet européen pourra classer l’affaire sans suite pour divers motifs. D’une part, au regard de raisons probatoires face à « l’absence de preuves pertinentes », corroborant la culpabilité de l’auteur présumé des faits[2]. Parallèlement, des critères tenant à la gravité de l’infraction apparaissent, venant restreindre la compétence du parquet européen, sans pour autant qu’il s’agisse d’un classement sans suite[3]. D’autre part, des motifs juridiques, imposant le classement sans suite, sont listés par le règlement comme le décès ou la dissolution de la personne morale, la démence, l’amnistie, l’immunité, l’expiration du délai national de prescription et enfin l’existence d’un jugement pour les même faits[4], afin de respecter le principe ne bis in idem.

classement sans suite prescription

Trois de ces raisons retiennent l’attention : l’hétérogénéité des délais de prescription au sein des États membres[5], risquant de remettre en cause l’égalité entre les justiciables européens puis l’amnistie et les immunités, faisant écho aux volontés étatiques au détriment des objectifs poursuivis par l’Union dans la lutte contre les infractions portant atteinte à ses intérêts financiers [Lire l’article à ce sujet]. Par conséquent, ces divers motifs devraient être évincées pour renforcer l’efficacité de l’organe.

De surcroît, la décision de classement sans suite est-elle encadrée ? Il est possible de répondre par l’affirmative à, au moins, deux égards : en amont, elle doit être motivée puis notifiée à la victime, au suspect et aux autorités nationales[6] ; en aval, le règlement prévoit l’ouverture d’un recours juridictionnel, à l’Union ou à toute autre personne, devant le juge européen afin de remettre en cause le classement de l’affaire[7].

La mise en œuvre d’une alternative aux poursuites par le parquet européen

Les alternatives aux poursuites constituent un tempérament récurrent du principe de la légalité au sein des différents projets ayant jalonné l’histoire du parquet européen[8]. Elles lui permettent d’apporter une réponse pénale, sans avoir à déclencher l’action publique. À cet égard, le législateur européen s’inspire des États membres qui ont développé cette troisième voie pour désengorger les tribunaux et faciliter les réparations.

alternatives aux poursuites

Toutefois, alors que l’ensemble des textes ouvraient cette possibilité, le règlement apparaît, quant à lui, réservé en la faisant dépendre des droits nationaux, particulièrement disparates sur ce point[9]. En dépit de la reconnaissance de ces procédures simplifiées par la majorité des États, elles varient d’une mesure à l’autre et d’un territoire à l’autre. De surcroît, certains, comme l’Italie et l’Espagne[10], les nient.

Partant, si cette possibilité existe dans le droit du procureur européen délégué chargé de l’affaire, il faudra qu’il propose ce choix à la chambre permanente compétente afin qu’elle se prononce sur son application. Elle devra le faire conformément aux conditions prévues par le droit interne [Lire l’article sur le sujet]. Dans le cas, où les alternatives aux poursuites ne sont pas reconnues dans l’État, la chambre permanente se retrouvera face à un choix binaire : poursuivre ou classer l’affaire. Cette situation devrait entraîner, une nouvelle fois, des inégalités entre les personnes poursuivies.

En outre, des normes européennes encadrent cette décision. La chambre permanente, avant de donner son avis, doit tenir compte de divers critères : d’abord, de la gravité de l’infraction déterminée en fonction du préjudice causé ; ensuite, de la volonté de l’auteur présumé de le réparer ; enfin, du respect des objectifs généraux et des principes fondamentaux du parquet européen[11]. Si ces conditions sont respectées, l’affaire sera classée définitivement [12], sans qu’un contrôle juridictionnel ne soit imposé.

La décision de poursuivre et le renvoi de l’affaire devant une juridiction nationale par le parquet européen

Après l’ouverture d’une enquête, si les éléments de preuve demeurent insuffisants, le doute devra bénéficier à l’accusé et l’affaire sera a priori classée sans suite. À l’inverse, il pourra, dans certains cas, transiger avec le suspect voire mettre en mouvement l’action publique et saisir corrélativement la juridiction nationale compétente[13]. Ce choix fait, à nouveau, l’objet d’un simple contrôle hiérarchique de la chambre permanente[14].

Une fois la décision de poursuivre prise, la juridiction nationale devra être saisie[15], mais laquelle ? À la lecture du règlement, « la chambre permanente décide en principe d’exercer les poursuites dans l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire »[16]. Or la façon dont il est déterminé fait écho aux chefs de compétence du droit pénal international [Lire l’article à ce sujet]. À titre principal, il s’agit du lieu où la plus grande partie des infractions a été commise, mais des critères subsidiaires sont prévus[17]

forum shopping juridiction nationale

En réalité, afin de pallier le risque de forum shopping, ce système n’est pas une solution satisfaisante. Il doit être cumulé avec la mise en place d’un contrôle juridictionnel de la juridiction choisie, mais le règlement est resté mutique sur ce point, en ne prévoyant qu’un contrôle hiérarchique. Cette solution apparaît fortement critiquable, car le tribunal saisi aura des incidences sur l’admissibilité des preuves, sur le droit applicable et donc plus largement sur l’issu du procès.

[1] Art. 39 du règlement.

[2] Art. 39 § g) du règlement.

[3] À titre d’illustration, si les autorités nationales ont déjà ouvert une enquête relevant de la compétence du parquet européen, le procureur européen délégué ne sera pas obligé d’ouvrir une enquête à l’aune des orientations générales communiquées par le collège, en toute indépendance, si l’infraction cause un préjudice inférieur à 100 000 euros ou si l’affaire « n’est pas complexe », Art. 27 § 8 du règlement ; De surcroît, si l’enquête n’est pas déjà ouverte et que le préjudice est inférieur à 10 000 euros, il ne se saisit pas de l’affaire sauf dans des cas précis Art. 25 § 2.

[4] Art. 39 § 1 a) à f) du règlement.

[5] Sénat, Étude de législation comparée — Les actes interruptifs de la prescription, n° 270, juin 2016. Lire ici.

[6] Art. 39 § 4 du règlement.

[7] Art. 42 § 3 du règlement.

[8] Art. 22 du Corpus juris ; § 6.2.2.1 du Livre vert ; Art 29, §1 de la proposition de règlement ; règle modèle 65 émettant des réserves : « Dans la mesure où nous estimons que le Parquet européen devrait mettre en mouvement l’action publique dès lors qu’il existe des preuves suffisantes et qu’il est dans l’intérêt public de l’UE de poursuivre, nous déconseillons de permettre au Parquet européen de clore une affaire sur la base du respect par le suspect d’obligations déterminées ».

[9] Art. 40 § 1 du règlement.

[10] H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité de poursuite européenne, Thèse, Université Toulouse 1 Capitole, 20 sept. 2019, § 87.

[11] Art. 40 § 2 du règlement.

[12] Art. 40, § 3 du règlement.

[13] Art. 86 § 2 TFUE.

[14] Art. 35 du règlement.

[15] Art. 86 § 2 TFUE.

[16] Art. 36 § 3 du règlement ; J. TRICOT, « Le contrôle juridictionnel du parquet européen dans les projets législatifs observations critiques sur la proposition de règlement portant création du parquet européen », G. GIUDICELLI-DELAGE , S. MANACORDA et J. TRICOT (dir.), Le contrôle judiciaire du parquet européen : nécessité, modèles, enjeux, Société législation comparée, 2015, p. 169 et s.

[17] Art. 26 § 4 du règlement.