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Contre quelles infractions le parquet européen va-t-il lutter ?

Seront essentiellement décryptés l’article 22 du règlement [Lire ici] et les articles 3 et 4 de la directive PIF [Lire ici].

En prenant officiellement ses fonctions à la fin de l’année 2020, le parquet européen aura pour effet de métamorphoser progressivement la coopération judiciaire classique en matière pénale [Lire l’article sur le sujet]. Ce dernier sera en mesure de bousculer l’inertie des États membres grâce aux diverses prérogatives dont il pourra user directement au sein des États membres, au travers de ses procureurs européens délégués [Lire l’article sur le sujet]. Néanmoins, la compétence de l’organe a rapidement été limitée, par les textes originels ayant prôné sa mise en place[1], à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne[2] et les infractions « liées » comme le blanchiment de capitaux[3], la corruption[4] ou encore le recel[5], faisant écho aux compétences fondamentales des Communautés[6]. Ces hypothèses ont été consacrées par le traité de Lisbonne de manière minimaliste puisqu’il se contente de viser des catégories d’infractions. À sa lecture, le parquet européen sera compétent pour lutter, initialement, contre les « infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union », voire « simultanément ou ultérieurement » contre « la criminalité ayant une dimension transfrontière »[7].

Après de multiples débats, le règlement portant création de l’organe a été adopté, le 12 octobre 2017[8] dans le cadre de la coopération renforcée. Ce dernier a fait le choix de restreindre la compétence du parquet européen à la poursuite des seules « infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». Il s’agira alors de déterminer ce que revêt cette catégorie d’infractions au travers d’une lecture combinée tant de la directive relative aux « fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne »[9], dite PIF, que du règlement relatif au parquet européen [Lire l’article ici].

La lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne

À l’aune du règlement adopté « le parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévues par la directive (UE) 2017/1371 et déterminées par le présent règlement » [10]. Cette dernière constitue donc le texte de référence quant à la délimitation de la compétence matérielle de l’autorité de poursuite européenne. Concrètement, quel sens revêt cette catégorie d’infractions ?

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Il y a d’abord la fraude qui peut être réalisée au travers de divers modes opératoires que la directive se propose de décrypter[11]. Elle est définie à l’aide de deux critères cumulatifs : le premier est contextuel ; le second est finaliste. Ainsi, concernant les dépenses, en rapport[12] ou non avec les marchés publics[13], le texte décrit des comportements qui ont pour effet de détourner ou de détenir indûment des fonds ou des avoirs provenant du budget de l’Union européenne ; d’autre part, s’agissant des recettes, en lien[14] ou non avec la taxe sur la valeur ajoutée[15], le droit dérivé apporte des précisions quant aux comportements qui ont pour incidences de diminuer illégalement le budget de l’Union.

À ce propos, l’idée d’inclure les fraudes à la TVA au sein de la directive était rejetée par les États membres, en considération de leur exclusivité dans la récolte de la TVA au profit de l’Union, alors qu’elle était prônée tant par le Parlement que par la Cour de justice[16]. Le législateur, toujours dans un souci de compromis, a fini par reconnaître la compétence du parquet européen pour ce type de fraude.

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Or il a posé tant un critère de gravité, en exigeant un préjudice financier supérieur à 10 millions d’euros, qu’un critère territorial, en conditionnant la compétence de l’organe à la présence d’un lien entre au moins deux États membres de l’Union européenne[17]. À terme ces limites pourraient être écartées pour lutter toujours plus efficacement contre ces infractions très répandues comme la fraude de type carrousel.

La lutte contre les infractions liées à la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne

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Au-delà de la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne, la directive PIF vise trois autres infractions « liées » : d’abord, le blanchiment de capitaux[18], déjà défini par l’Union européenne[19], constituant une infraction de conséquence, impliquant corrélativement la commission antérieure d’une fraude ; ensuite, la corruption[20] tant « active », commise par « quiconque » que « passive » réalisée par  « un agent public directement ou par interposition d’un tiers » ; enfin, un délit titré tel que le détournement de fonds par un agent public[21]. Il est nécessaire de relever que le législateur européen est en mesure d’élargir cette liste, par le biais d’une procédure législative ordinaire[22].

Outre les prévisions de la directive PIF, le règlement étend la compétence du parquet européen à d’autres infractions[23]. D’une part, à celles « relatives à la participation à une organisation criminelle »[24], en lien avec la liste d’incriminations relevant de la compétence de l’organe. Ces dernières permettent d’englober tant le délit obstacle d’association de malfaiteurs, afin d’éradiquer les comportements délictueux sans attendre la consommation de l’infraction que la circonstance aggravante de bande organisée, imposant dans ce cas aux États membres d’augmenter le quantum de la peine. D’autre part, à « toute autre infraction pénale indissociablement liée » à celles relevant de la compétence du ministère public européen[25]. Cette seconde formulation retient l’attention en ce qu’elle demeure particulièrement ambiguë et extensible. Une fois, l’organe mis en place, la Cour de justice[26] risque d’être saisie afin d’interpréter cette expression fondamentale qui aura des incidences sur la répartition des compétences entre les parquets nationaux et le parquet européen.

De surcroît, il ne faut pas perdre de vue les prévisions du traité de Lisbonne qui permet d’ouvrir, à terme, la compétence matérielle de l’autorité de poursuite européenne à la lutte contre la « criminalité ayant une dimension transfrontière »[27].

[1] V. les articles 1 à 8 et 18, §2 des deux versions du Corpus Juris, l’article 280 bis, §1 et 3 a) de la contribution de Nice, les § 3. 1 et 5. 2 du Livre vert, l’article III-274, alinéas 1 et 2 du Traité constitutionnel.

[2] Aux intérêts financiers de l’Union : Art. 1 de la première version du Corpus juris et § 5.2.1.1 du Livre vert ; en matière de passation de marché : Art. 2 des deux versions du Corpus juris et § 5.2.2.1 du Livre vert.

[3] Art. 7 de la première version et 3 de la seconde version du Corpus juris ; § 5.2.1.3 du Livre vert.

[4] Art. 3 de la première version et 5 de la seconde version du Corpus juris ; § 5.2.1.2 du Livre vert.

[5] Seul le Corpus juris a consacré cette infraction à l’art. 7 dans se première version et à l’art. 3 de sa seconde.

[6] Art. 209 A du traité de Maastricht, Art. 280 du traité d’Amsterdam ; Art. 325 du traité de Lisbonne ; J. A. E. VERVAELE, La fraude communautaire et le droit pénal européen des affaires, PUF, 1994.

[7] Art. 86 § 4 TFUE.

[8] Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 oct. 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen, 12 oct. 2017.

[9] Directive (UE) 2017/1371 du parlement européen et du conseil du 5 juill. 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’union au moyen du droit pénal.

[10] Art. 2 § b) de la proposition initiale ; Art. 4 du règlement adopté.

[11] Art. 3 de la Directive PIF.

[12] Art. 3, § 2, b) de la Directive PIF.

[13] Art. 3, § 2, a) de la Directive PIF.

[14] Art. 3, § 2, d) de la Directive PIF

[15] Art. 3, § 2, c) de la Directive PIF.

[16] CJUE, 8 sept. 2015, Taricco e.a, C-105/14, RTD eur. 2016. 77, obs. D. berlin ; ibid. 2017. 739, étude Nicoletta Perlo ; RFDA 2018. 521, étude Henri Labayle.

[17] Art. 2 § 2 et art. 3 § 2, d) de la Directive PIF.

[18] Art. 4 § 1 de la Directive PIF

[19] Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

[20] Art. 4 § 2 de la Directive PIF.

[21] Art. 4 § 3 de la Directive PIF.

[22] Art. 83 § 2 TFUE.

[23] Art. 22 du règlement adopté.

[24] Art. 22 § 2 du règlement adopté ; V. sur la définition européenne de l’organisation criminelle : décision-cadre 2008/841/JAI.

[25] Art. 22 § 3 du règlement adopté.

[26] Art. 267, b) TFUE visé spécifiquement par le règlement adopté à l’article 42, b) et c).

[27] Art. 86 § 4 TFUE.