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Du corpus juris au règlement portant création du parquet européen

Même s’il n’était pas encore clairement formulé, en septembre 2015, le sujet de ma thèse avait pour objet le parquet européen et la notion d’autorité judiciaire. Pour autant, à ce moment-là les institutions européennes étaient en train de réécrire le règlement portant création de l’organe. La proposition initiale venait, en effet, d’être rejetée par les parlements nationaux, lesquels avaient utilisé la procédure dite du carton jaune car ils considéraient que le projet constituait une ingérence excessive dans le cadre d’une compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne [Lire l’article sur le sujet].

J’entamais alors une étude, pour quelques années, sur un organe qui n’existerait peut-être jamais. Les écrits du Professeur Mireille Delmas-Marty sur le sujet me motivaient pour avancer. J’y croyais : il y aurait un inéluctable mouvement vers un parquet européen, c’était nécessaire, mais quand aurait-il lieu ? Il n’était plus possible d’ouvrir les frontières aux personnes, aux marchandises, aux services, aux capitaux ou encore aux données et informations, tout en les fermant aux autorités de poursuite.

L’idée même d’un ministère public européen datait de 1997, avec le corpus juris, mais sa concrétisation se faisait attendre. Pas étonnant, au regard d’un tel projet. Après de multiples débats, le règlement portant création de l’organe était enfin adopté vingt ans plus tard, le 12 octobre 2017. Il s’agissait de la version la moins ambitieuse à l’aune des différentes propositions ayant jalonné l’histoire du parquet européen. Pour le autant, il devenait, enfin, une réalité pour vingt États membres, avec le ralliement, plus tardif, des Pays-Bas et de Malte durant l’été 2018 [Lire l’article sur le sujet]. À la lumière du droit dérivé, le parquet européen devait être opérationnel en novembre 2020. Il ne faut pas s’y méprendre, les croyances liées à la récurrence du nombre vingt entourant son avènement doivent être écartées à la lumière des obstacles que sa création a longtemps suscités. Dès lors, sa mise en place ne relevait plus d’un mythe, mais devenait, en elle-même, une réalité empreinte de métamorphoses au sein de l’Union européenne. Finalement, ce n’est que le 1er juin 2021 qu’il a pu commencer à lutter contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Il y a aujourd’hui un an, le moment est donc opportun pour faire un premier bilan [Lire l’article sur le sujet]. Si le parquet européen permet de protéger plus efficacement les intérêts financiers de l’Union européenne, il faut, sans aucun, doute renforcer son fonctionnement.

anniversaire parquet européensource image : site officiel EPPO.

La plus-value apportée par le parquet européen 

-Le parquet européen, au travers de son niveau central, a d’abord un rôle moteur dans la mise en cohérence des enquêtes menées au sein de différents États membres sans être affaibli par l’existence des frontières nationales avec lesquelles les délinquants continuent de jouer. Ensuite, il facilite les échanges d’informations par le biais de sa structure singulière, sans passer par les mécanismes d’entraide classique. Enfin, sans se préoccuper de la volonté des États membres, il dispose d’un rôle contraignant quant à la mise en œuvre de la réponse pénale, bousculant donc leur inertie.

 –Le parquet européen a ouvert près de 929 enquêtes pour une catégorie d’infractions très spécifiques : les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne commises depuis le 12 novembre 2017, dont le préjudice est estimé à plus de cinq milliards d’euros. Par exemple : la fraude à la TVA cause environ par an entre 30 et 60 milliards d’euros de préjudice aux budgets des États membres.

 –259 millions d’euros d’ordonnances de gel ont déjà été accordées.

Le renforcement du fonctionnement du parquet européen

Un réel problème de détection des fraudes persiste : tant au sein des États membres que dans les différentes institutions, organisations, organes et agences de l’Union européenne, le niveau de détection de la fraude communautaire est inégal. Il est d’ailleurs globalement faible. Or sans détecter la fraude, il ne peut y avoir d’enquêtes, de poursuites et donc de jugement.

Une compétence matérielle limitée du parquet européen : cette dernière se limite à la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au regard de la directive PIF [Lire l’article sur le sujet]. Une extension future de ses compétences doit donc commencer à faire l’objet de réflexions [V. la conférence].

 –Un parquet européen encore plus européen : en réalité, le règlement portant création du parquet européen est le fruit d’un compromis. Les importants renvois du règlement aux droits procéduraux et substantiels nationaux, outre le maintien de la compétence des juridictions nationales par le droit primaire, pourraient largement affaiblir son action. En somme, à terme un système pénal totalement européanisé, se superposant à ceux des États membres, sans modifier leurs droits nationaux, pourrait être envisagé. Il faudrait alors que soit créer une procédure pénale autonome voire une cour pénale de l’Union européenne, en passant par la rédaction d’un code pénal de l’Union [V. ma thèse], même si politiquement ces propositions demeurent difficilement acceptables pour les États membres.

Le premier « bilan » du parquet européen est encourageant même si l’organe demeure perfectible.