Comment sont protégés les droits fondamentaux face au parquet européen ?
Seront essentiellement décryptés les articles 30, 33 et 41 [Lire le règlement]
Le règlement portant création du parquet européen est le résultat d’un compromis délicat et complexe. Les actions menées par l’organe seront soumises, outre au droit européen, essentiellement aux spécificités des procédures pénales nationales [Lire l’article à ce sujet]. Schématiquement, les normes applicables seront celles du lieu où la mesure sera effectivement mise en œuvre. Dès lors, elles pourront être différentes voire se cumuler avec celles de l’Etat dont est issu le procureur européen en charge de l’affaire. Ainsi, une enquête dirigée par le ministère public européen se verra colorer d’un certain pluralisme normatif. Autrement dit, l’hétérogénéité des actes attentatoires d’investigations et des mesures privatives de liberté au sein des États membres ne sera pas annihilée par l’avènement d’une autorité de poursuite européenne. Cette situation pose, plus largement, la question de la sauvegarde des droits fondamentaux des suspects faisant l’objet d’une enquête pénale européenne : comment les prémunir des prérogatives puissantes détenues par le nouvel organe ? Il s’agira alors de se concentrer exclusivement sur la phase préliminaire, la phase de jugement étant globalement semblable d’un Etat à l’autre.
À cet égard, le trio – droit à la liberté et à la sûreté, droit à la vie privée et droits de la défense – retient l’attention. En dépit de la disparité des droits nationaux, un modèle commun quant à la protection des droits fondamentaux semble émerger sous l’impulsion originelle du Conseil de l’Europe, suivi récemment par l’Union européenne. Initialement, ni le traité instituant les communautés européennes ni celui sur l’Union ne comportaient de catalogue écrit des droits fondamentaux. En réalité, le traité d’Amsterdam en 1999 a été le premier à clamer l’idée selon laquelle l’Union devait « respecter les droits de l’Homme et les libertés fondamentales »[1] ; dès lors, elle est au centre de ses principaux objectifs. En d’autres termes, outre la protection des intérêts financiers, elle a des valeurs à promouvoir.
L’adoption du Traité de Lisbonne a entériné ce chemin emprunté par l’Union européenne essentiellement au regard de l’octroi de la valeur des traités à la Charte des Droits fondamentaux. Partant, l’avènement du parquet européen – organe connotant la répression – devrait accroître, vigoureusement, l’intérêt de l’Union dans la garantie des droits de l’Homme. Chaque projet relatif à l’autorité de poursuite européenne a apporté sa pierre à l’édifice afin de faire coïncider son ambition avec un niveau élevé de protection des droits fondamentaux. L’itinéraire parcouru du Corpus juris jusqu’au règlement a été semé d’embûche et l’adoption du texte définitif n’a eu lieu qu’après vingt ans de débats durant lesquels deux concepts antinomiques – souveraineté et intégration européenne – se heurtaient. Alors que les premiers écrits ont dû composer avec les disparités nationales, le droit dérivé, quant à lui, s’inscrit dans un contexte plus achevé.
Comment est protégé le droit à la liberté et à la sûreté ?
La protection du droit à la liberté et à la sûreté est entièrement harmonisée au sein de l’Union européenne à la lumière l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La mise en œuvre d’une mesure privative de liberté doit donc respecter certains principes matriciels de la matière pénale comme la légalité, la nécessité ou encore la proportionnalité. De surcroît, l’intervention prompte d’une autorité judiciaire, indépendante et impartiale, s’impose.
En réalité, seul un juge répond à ces exigences. Concernant le parquet européen, cette situation se présentera face à la mise en œuvre d’un acte d’enquête telle que la garde à vue ou encore d’une mesure privative de liberté comme la détention provisoire. Il n’y a sur ce point que peu de discordances au sein des États membres ; la différence réside essentiellement dans le délai d’intervention du juge allant de 24 heures à 72 heures, alors que la Cour européenne semble prévoir une marge de tolérance de quatre jours[2]. Ainsi, le renvoi aux droits internes, effectué par le règlement, ne pose aucune difficulté au regard d’une véritable harmonisation des droits sur ce point[3].
À ce titre, l’exemple de la garde à vue, étudié à travers le prisme du droit comparé, demeure éclairant. En Allemagne, la durée de contrôle par le ministère public est très brève – elle ne peut être que de 24 heures – et insusceptible de prolongation contrairement aux autres États membres[4] ; en France le parquet contrôle les 48 premières heures de la mesure puisqu’il peut la renouveler après 24 heures[5] ; en Italie, les 24 premières heures sont placées sous l’égide de la police et les 24 heures suivantes du procureur[6] ; en Espagne, enfin, la mesure est vérifiée par le parquet pendant 24 heures qu’il peut renouveler pour 48 heures supplémentaires. Ainsi dans ces deux derniers États il peut la contrôler jusqu’à 72 heures[7] ; passé ces délais, le juge devra intervenir.
Comment est protégé le droit à la vie privée ?
Le droit à la vie privée peut, également, être fortement remis en cause dans le cadre d’une enquête pénale. Nombreuses sont les mesures de recherche qui y portent atteinte : de la géolocalisation, à la perquisition voire à l’interception des télécommunications en passant par les réquisitions. Même si un socle commun européen de quelques mesures est envisagé, leur mise en oeuvre dépend, quant à elle, des prévisions nationales[8] .
Ce droit est originairement protégé par l’article 8 de la Convention européenne. Pour y porter atteinte, certaines conditions doivent être respectées. Une prévision textuelle doit exister, faisant écho au principe de la légalité pénale, et doit être nécessaire. A contrario, à la lecture de la Convention, aucune exigence organique n’est envisagée expressément. Or progressivement la jurisprudence a imposé ses propres canons comme la présence d’un contrôle juridictionnel des mesures violant la vie privée, dès lors que le degré de l’atteinte apparaît excessif. Ce critère demeure subjectif, mais il est celui utilisé par la Cour afin d’exiger ou non l’intervention d’une autorité judiciaire. À titre d’illustrations, les juges strasbourgeois affirment que la géolocalisation ne justifie pas le même niveau de garanties que l’interception des correspondances émises par la voie des télécommunications[9], ou encore que la surveillance par des moyens visuels ou acoustiques « qui, en règle générale, sont davantage susceptibles de porter atteinte au droit d’une personne, au respect de sa vie privée, car elles révèlent plus d’informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l’objet »[10]. Pour autant, les États membres ont une marge de manœuvre. En réalité, tous n’exigent pas le contrôle de ces mesures par le juge ; son intervention apparaît conditionnée par divers éléments comme l’absence du consentement ou le dépassement de certains délais.
A titre d’illustration, face à la disparité des règles régissant les réquisitions, la Commission a proposé un règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, dite e-evidence[11], afin d’européaniser complètement la procédure. En attendant, les nombreuses différences perdurent et les personnes faisant l’objet d’une enquête pénale menée par le parquet européen verront leur vie privée protégée de façon variable, ce qui apparaît discutable.
Afin de pallier, en partie, cette difficulté, le règlement relatif à l’organe, en mettant fin au principe de territorialité européenne [Lire l’article à ce sujet], exige la prise en compte du droit de l’État du procureur européen délégué en charge de l’affaire, mais également, s’il diffère, de celui du lieu où la mesure est effectuée quant à l’intervention ou non du juge. De surcroît, il envisage un Corpus de règles propre à la protection des données à caractère personnel qui témoigne de la volonté de garantir à terme le droit à la vie privée de manière uniforme [article à venir sur ce point] [12].
Comment sont protégés les droits de la défense ?
Le règlement portant création du parquet européen consacre, au sein d’un chapitre, un ensemble, à la fois solide et complet, de « garanties procédurales »[13] veillant à ce que les droits des suspects et des autres personnes impliquées dans les enquêtes menées par l’organe soient protégés tant par la législation européenne que nationale[14]. Outre la référence à la Charte des droits fondamentaux, le droit dérivé renvoie aux diverses directives portant sur les droits de la défense[15], adoptées entre 2010 et 2016. Ainsi, divers « droits à » sont listés : à l’interprétation et à la traduction[16], à l’information et à l’accès aux pièces du dossier[17] ; à l’accès à un avocat et à la possibilité de communiquer avec un tiers[18] ; au silence, à la présomption d’innocence[19] ainsi qu’à l’aide juridictionnelle[20]. Certains droits envisagés par la proposition initiale ont été évincés sans justification apparente comme la présentation par le suspect des éléments de preuve, la désignation d’experts ou encore l’écoute des témoins[21], dès le stade de l’enquête qui demeure dans la plupart des États membres une zone opaque. La proposition précisait qu’« en tant que telles, ces règles apportent un degré supplémentaire de garantie par rapport à ce que prévoit la législation nationale, de sorte que les suspects et d’autres personnes peuvent bénéficier directement d’une protection conférée par le droit de l’Union »[22]. Ces standards européens minimums posés peuvent être dépassés en considération des choix politiques des États membres, même si la Cour de justice en réduit la portée lorsqu’il s’agit de faire circuler au sein de l’Union des décisions judiciaires, à l’aune du principe de la reconnaissance mutuelle[23]. Concrètement, « la question de l’articulation des multiples sources de droits fondamentaux est loin d’être définitivement résolue »[24]. « Cette prééminence du droit de l’Union semble pourtant se justifier avec la mise en place du parquet européen afin que les mêmes[25] garanties soient appliquées indifféremment à l’ensemble des suspects poursuivis par l’organe ».
Des difficultés persistent quant à l’accès à l’entier dossier, il est effectivement prévu à l’échelle européenne, mais avec une certaine ambiguïté. En effet, il peut avoir lieu « au plus tard, lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé́ de l’accusation »[26]. Néanmoins, dans l’ensemble des États membres, il existe toujours un moment de latence afin de permettre aux enquêteurs d’effectuer des recherches sans être ralentis par l’intrusion massive des droits de la défense, dès ce stade[27].
En France, seules quelques pièces sont accessibles, lors de la phase préparatoire, comme les procès-verbaux de notification des droits et d’auditions ainsi que le certificat médical, le cas échéant, mais la possession de l’entier dossier n’est possible que lors de l’instruction, si elle est ouverte, ou alors devant la juridiction de jugement[28]. Le projet de loi vient complexifier cette question. En effet, le droit à l’accès au dossier apparaît à géométrie variable [Lire l’article du Monde à ce sujet] : un cadre classique d’enquête, excluant ce droit, tout comme une quasi instruction, offrant un tel accès, pourront être ouverts, à la discrétion du procureur européen délégué. L’intervention de l’Union européenne se fait alors sentir afin d’éviter une telle asymétrie. Exigé un accès à l’entier dossier dès le départ et permettre corrélativement l’exercice d’un recours juridictionnel effectif devrait à terme s’imposer pour que les droits de la défense deviennent Roi dès les premières minutes de l’enquête.
[1] Ancien article F, a) du traité d’Amsterdam.
[2] CEDH, Plén., 29 nov.1988, Brogan et autres c/ Royaume-Uni, req n° 11209/84, 11234/84, 11266/84, 11386/85, § 57 et 62 ; CEDH, Gde ch., 3 oct. 2006, Mckay c/ Royaume-Uni, req n° 543/03, § 47.
[3] Art. 33 du règlement.
[4] Art. 127 StPO.
[5] Art. 62-3 du CPP.
[6] Art. 386 et s. du CPP et 13 de la Constitution.
[7] Art. 496 et 520-1 LECRIM et de l’article 17-2 de la Constitution.
[8] Art. 30 du règlement.
[9] CEDH, 5e sect., 2 sept. 2009, Uzun c/ Allemagne, req n° 35623/05, § 65 et 66.
[10] CEDH, 5e sect., 2 sept. 2009, Uzun c/ Allemagne, req n° 35623/05, § 52.
[11] Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, COM/2018/225 final, 17 avril 2018.
[12] Art. 47 et s. du règlement portant création du parquet européen.
[13] Chapitre VI du règlement.
[14] Art. 41 § 3 du règlement.
[15] Art. 41 § 2 du règlement.
[16] Art. 41 § 2 a) du règlement.visant la directive 2010/64/UE.
[17] Art. 41 § 2 b du règlement. visant la directive 2012/13/UE.
[18] Art. 41 § 2 c) du règlement.visant la directive 2013/48/ UE.
[19] Art. 41 § 2 d) du règlement.visant la directive 2016/343/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, JOUE, L 65/1, 11 mars 2016.
[20] Art. 41 § 2 e) du règlement.visant la directive 2016/1919/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 oct. 2016 concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, JOUE, L 297/1, 4 nov. 2016.
[21] Art. 32 § 2 f) de la proposition initiale qui n’était pas encore prévue par le droit de l’Union et qui n’a toujours pas été adoptée depuis.
[22] Dispositif d’application § 3.3.4 de la proposition initiale.
[23] CJUE, 26 fév. 2013, Stefano Melloni c/ Ministero Fiscal, aff. C-399/11, § 63 ;
[24] C. HAGUENAU-MOIZARD, « Primauté — Identité constitutionnelle et mandat d’arrêt européen : l’exploitation de la jurisprudence Melloni par la Cour constitutionnelle allemande », Europe n°3, étude 2, mars 2016.
[25] H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité judiciaire de l’Union européenne », Thèse Toulouse, 20 sept. 2019, § 338.
[26] Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, JOUE, L142/1, 22 mai 2012, article 7 § 3 ; Quant à la Cour européenne elle a affirmé : « la nécessité de préserver le secret des données dont disposent les autorités et de protéger les droits d’autrui », CEDH, Gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36291/02.
[27] V. sur ce point, étude d’impact du Senat relative au projet de loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, 20 janv. 2014, p. 18 et s.
[28] Art. 63-4-1 CPP.
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