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Quelles sont les garanties statutaires du parquet européen ?

Seront essentiellement décryptés les articles : 5, 6, 13, 14, 15, 16 et 17 [Lire le règlement]

Le parquet européen est rattaché au corps judiciaire de l’Union européenne [Lire l’article à ce sujet]. Ainsi, à la lecture des différents textes ayant jalonné son histoire, son impartialité et son indépendance[1] sont constamment exigées. Ces garanties sont insérées au sein du chapitre II du règlement adopté ayant comme intitulé : « institution et missions du parquet européen et principes de base régissant ses activités », traduisant leur caractère fondamental.

Toutefois, des zones d’ombre demeurent : comment une autorité de poursuite peut-elle être impartiale ? De surcroît, par rapport à qui doit-elle être indépendante ? Aux États membres ? Aux institutions de l’Union ? Aux deux ?

L’impartialité suppose, lato sensu, l’absence de préjugé ou de parti pris dans une affaire ; l’indépendance, quant à elle, revêt un sens protéiforme : elle peut être interne, au sein même du corps des procureurs, externe, à l’égard des autres pouvoirs, soit de l’Union si elle est horizontale, soit des États membres si elle est verticale, statutaire, au regard de sa gestion de carrière ou encore fonctionnelle, en considération de l’exercice effectif de ses missions. Il s’agira donc de décrypter le respect effectif de ses garanties statutaires par le parquet européen.

L’indépendance externe statutaire prônée

Le ministère public européen est fortement hiérarchisé. Ainsi, son indépendance interne n’a jamais été exigée. En revanche son indépendance statutaire externe tant horizontale que verticale a toujours été prônée. Afin de déterminer si cette affirmation n’est pas qu’un simple effet d’annonce, les modalités entourant la gestion de carrière des membres du parquet européen doivent donc être étudiées.

La gestion de carrière des membres du niveau central

L’indépendance des membres du niveau centralisé est toujours mise en exergue. Ainsi, sont détaillées les procédures de nomination et de révocation du Chef du parquet[2], de ses deux adjoints et des procureurs européens[3] [Lire l’article à ce sujet].

S’agissant du Chef du Parquet européen, après avoir lancé un appel à candidatures publié au Journal Officiel de l’Union Européenne, un comité de sélection établit une liste restreinte de candidats. Ce dernier, dont l’indépendance et le rôle ont été renforcés, est « composé de douze personnalités choisies parmi d’anciens membres de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour des comptes, d’anciens membres nationaux d’Eurojust, des membres des juridictions nationales suprêmes, des procureurs de haut niveau et des juristes possédant des compétences notoires, dont l’un est proposé par le Parlement européen »[5]. Or, la nomination des membres de cette instance autonome, par le Conseil sur proposition de la Commission[6], apparaît discutable. Ensuite, en considération de cette liste, le Chef du Parquet est nommé par le Conseil à la majorité simple après avoir trouvé un accord avec le Parlement européen pour un mandat de sept ans non renouvelable[7].

Le 23 septembre 2019, la Procureure roumaine Laura Kövesi a été nommée[8]. Malgré l’intervention d’autorités politiques, la présélection du comité semble confirmer son indépendance ; tout comme sa révocation puisqu’elle relève de la Cour de justice à la requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission, même si ce rôle pourrait être délégué au comité. S’agissant de ses deux adjoints[9], ils sont nommés par le collège des procureurs européens, et parmi eux, pour un mandat de trois ans renouvelable sans pour autant que la procédure y soit décrite, car elle relève d’un règlement intérieur, dont la teneur demeure à ce jour très attendue.

Concernant les Procureurs européens, trois doivent être proposés par chaque État membre, sans en connaître encore les modalités[10], ce qui apparaît critiquable quant au manque de transparence de leur nomination. Cette situation pourrait remettre en cause leur indépendance statutaire verticale. Ensuite, le Conseil après avoir reçu l’avis conforme du comité de sélection concernant l’aptitude des candidats proposés par les États à exercer les fonctions du parquet européen[11], nomme à la majorité simple l’un d’entre eux à la fonction de procureur européen de l’État membre en question pour un mandat non renouvelable de six ans[12]. Par ailleurs, la révocation des procureurs européens suppose, une nouvelle fois, l’intervention de la Cour de justice.

La gestion de carrière des membres du niveau décentralisé

Concernant le niveau décentralisé, les procureurs européens délégués, exerçant concrètement l’action au sein des États membres, sont nommés par le collège de procureur européen sur proposition du chef du Parquet pour un mandat de cinq ans renouvelable[13] et sont également révoqués par lui[14]. Il s’agit donc d’une procédure purement interne à l’organe, garantissant son indépendance externe tant verticale qu’horizontale, mais sa soumission interne apparaît trop prégnante. De surcroît, l’État membre ne peut pas gérer leurs carrières européennes, sans le consentement du chef du Parquet européen. Dans le cas où ce dernier n’y consentirait pas, l’État peut demander au collège son avis. Finalement, le statut des procureurs européens délégués est autonomisé[15] ; ce choix apparaît cohérent face la disparité des parquets d’Europe.

En somme, l’hétérogénéité des procédures de nomination et de révocation n’apparaît pas justifiée, leur unification semble alors souhaitable pour une meilleure lisibilité. Celle prévue pour le Chef du parquet européen est la plus « garantiste » de l’indépendance statutaire externe tant horizontale que verticale. Quant à la question de la révocation et du pouvoir disciplinaire, elle devrait être confiée au Comité indépendant, à l’image du Conseil supérieur de la magistrature dont l’avis devrait être conforme.

L’indépendance externe fonctionnelle prônée

La question de l’indépendance fonctionnelle externe fait écho à l’absence de subordination du parquet européen durant l’exercice effectif de ses missions. Le règlement prévoit à ce titre explicitement qu’il « ne sollicite ni n’accepte d’instructions d’aucune personne extérieure au Parquet européen, d’aucune institution, d’aucun organe ou organisme de l’Union européenne »[16]. Son indépendance tant verticale qu’horizontale est donc une nouvelle fois rappelée.

Pour autant, un élément interroge quant à la véritable indépendance fonctionnelle verticale du niveau décentralisé de l’organe, puisqu’un cumul du mandat national avec le mandat européen est permis par le législateur européen[17]. Ce choix suppose une définition lisible des compétences respectives entre l’Union et les États, afin d’éviter les interférences qui peuvent découler d’une double, voire triple, chaîne de commandement[18]. En effet, coexisteraient le statut national qui varie d’un État à l’autre[19] et le statut européen qui exige, quant à lui, l’indépendance de l’organe. Cette prévision est une simple possibilité laissée à la discrétion des États. À ce titre, en France, le projet de loi, a évincé un tel cumul ce qui apparaît louable pour garantir l’indépendance fonctionnelle des procureurs européens délégués[20].

L’impartialité prônée, mais discutable

Même si l’ensemble des textes ayant jalonné l’histoire du ministère public européen rappelait l’impartialité dont devait faire preuve l’organe, aucune disposition n’était explicitement consacrée à cette exigence[21]. Or au sein du règlement, pour la première fois, un article est entièrement consacré à elle. Dès lors, le parquet européen doit recueillir « tous les éléments de preuve pertinents, aussi bien à charge qu’à décharge »[22]. Néanmoins comment une autorité de poursuite peut-elle faire preuve de neutralité ? Intrinsèquement elle ne le peut.

Partant, comme le législateur français en l’inscrivant textuellement dans la Loi[23], le législateur européen le souligne expressément comme pour se convaincre de sa véracité qui n’apparaît en réalité qu’illusoire. En étant partie à la procédure, en ce qu’il représente l’intérêt de la société victime d’une infraction, le parquet européen ne peut être impartial[24]. La jurisprudence de la Cour européenne a d’ailleurs souvent rappelé le rattachement du ministère public à une partie comme les autres du procès, au même titre que l’accusé ou la victime[25]. Au-delà d’être une partie à la procédure, il cumule un rôle de contrôleur de la légalité de la phase préliminaire, mais également d’enquêteur, remettant en cause la séparation de la poursuite et de l’instruction. Cette situation laisse planer le doute quant à son impartialité objective réelle ou supposée. Ainsi, il apparaît que le procureur européen, au même titre que l’ensemble des procureurs nationaux, ne peut, par essence, faire preuve de neutralité, même si certains maintiennent le contraire sur le fondement du devoir de loyauté[26].

[1] Art. 18 du Corpus juris ; M. DELMAS-MARTY et J. VERVAELE, La mise en œuvre du Corpus Juris dans les États membres, Intersentia, vol. 1, 2000, pp. 48-49 ; § 4.1.1 du Livre vert ; Règle modèle n°1 ; Art. 5 §1 de la proposition initiale.

[2] Art. 14 § 2 b) du règlement : « offrent toutes les garanties d’indépendance ».

[3] Art 16 § 1 b) du règlement : « offrent toutes les garanties d’indépendance ».

[4] Art 15 § 2 du règlement : « Ils doivent offrir toutes garanties d’indépendance, disposer des qualifications requises et posséder une expérience pratique pertinente de leur ordre juridique national ».

[5] Art 14 § 3 du règlement.

[6] Art 14 § 3 du règlement.

[7] Art 14 § 3 du règlement.

[8] E. BERRETTA, « Paris laisse à la roumaine Laura Kövesi le poste de procureur européen », Le point, 27 sept. 2019.

[9] Art. 15 du règlement.

[10] Art. 16 du règlement.

[11] Art. 16 § 2 du règlement adopté : « Si le comité de sélection constate qu’un candidat ne remplit pas les conditions requises pour exercer les fonctions de procureur européen, son avis lie le Conseil ».

[12] Art. 12 du règlement.

[13] Art. 17 § 1 dur règlement.

[14] Art. 17 § 3 du règlement.

[15] Art. 13 § 1 du règlement.

[16] Art. 6 du règlement.

[17] Art. 13 § 3 du règlement.

[18] Celle tolérée émanant des supérieurs hiérarchiques de l’Union (dépendance interne horizontale) ; celles exclues émanant à la fois des supérieurs hiérarchiques du parquet national (dépendance interne verticale) et dans certains cas des autorités politiques nationales (dépendance externe verticale).

[19] H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité judiciaire de l’Union européenne, Thèse Toulouse, 20 sept. 2019, § 29.

[20] Projet de loi relatif au parquet européen et à la justice spécialisée, 29 janvier 2020, H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen à l’origine de la mutation de la procédure pénale nationale, Dalloz actualité, 27 févr. 2020 [Lire ici].

[21] Le Corpus juris était silencieux du ce point ; § 6.2.4.2 du Livre vert ; Règle modèle n° 10 ; Art. 11 de la proposition initiale.

[22] Art. 5 § 4 du règlement.

[23] Loi du 25 juillet 2013, n° 2013-669, rajoute cette garantie à l’article 31 du CPP ; A. GIUDICELLI, « Principe d’impartialité comment l’appliquer au ministère public ? », RSC, 2017, p. 81 et s.

[24] S. JOSSERAND, L’impartialité du magistrat en procédure pénale, LGDJ, Bibliothèque de sciences criminelles, Thèse, t. 33, 1998, p. 333

[25] V. par exemple, CEDH, 1ère sect., 5 avr. 2001, Priebke c/ Italie, req n° 48799/99, §1 b).

[26] E. CAMOUS, « L’enquête à décharge menée par le procureur de la République », Gaz. Pal., 18 juill. 2017, p. 88 et s.