Le parquet européen : autorité judiciaire ou fonctionnaire de l’Union ?
Seront essentiellement décryptés les articles : 14, 16 et 17 [Lire le règlement]
L’étude comparée du statut et des garanties statutaires des parquets nationaux démontre l’hétérogénéité de l’institution au sein de l’Union[1] ; ses facettes plurielles questionnent tant le chercheur français qu’européen. Autorité judiciaire ou de gouvernement ? « Partie zélée ou organe de la loi »[2] ? Institution subordonnée ou indépendante ? Historiquement, le ministère public semble lié à la fois à l’exercice de la justice, faisant écho à sa nature judiciaire, qu’au service de l’exécutif, laissant se dessiner sa nature gouvernementale.
À la genèse, le modèle bureaucratique issu des fondements du parquet napoléonien était favorisé par la majorité des États, mais les réformes démocratiques d’après-guerre ont bouleversé cette homogénéité. Traumatisés par le totalitarisme, certains ont apporté des spécificités à cette institution. Si en Italie, le parquet, arboré comme indépendant et impartial, appartient au corps judiciaire, en Espagne et en Allemagne il apparaît comme un simple fonctionnaire, en France, enfin, il y est inclus, mais n’en présente pas les garanties pourtant imposées par la théorie classique de la séparation des pouvoirs, faisant de lui un organe hybride. Partant, le parquet est à l’origine de la déstabilisation des contours de la notion d’autorité judiciaire au sein des États membres. Face à ces figures multiples, quels sont les choix opérés par le législateur de l’Union à l’égard du parquet européen ?
L’usage d’expressions rattachant l’organe au corps judiciaire
L’étude réalisée, entre la première et la seconde version du Corpus juris, affirmait explicitement la nature judiciaire du parquet européen[3]. Néanmoins, il est discutable de parler « d’autorité judiciaire » puisque l’Union européenne demeure en pleine construction politique. Pour autant les expressions d’« organe judiciaire » visé par la Contribution de Nice[4], d’ « organe judiciaire spécialisé », employé par le Livre vert[5] ou encore le « caractère (judiciaire) du Parquet européen » utilisé par la proposition initiale[6], y font échos. L’article 86 du TFUE, constituant la base légale de sa création, va dans le même sens en ce qu’il s’insère au sein du chapitre IV du traité ayant pour intitulé « coopération judiciaire en matière pénale ». Or le règlement adopté se terre, comme sur de nombreux points, dans un profond mutisme. Pour autant, la doctrine entérine ce rattachement en employant régulièrement cette locution significative[7].
L’exigence organique des garanties statutaires de l’autorité judiciaire
Outre ces indices d’ordre purement sémantique, la démonstration de l’appartenance du parquet européen à l’autorité judiciaire de l’Union européenne suppose d’adopter un raisonnement inductif. Il n’est pas question de déterminer son rattachement à une quelconque autorité, qui implique le respect de certains principes, mais plutôt d’exiger de lui qu’il s’y soumette pour en déduire sa nature.
Selon la théorie classique de la séparation des pouvoirs, l’autorité judiciaire doit être indépendante et impartiale, ce que ne cesse de réaffirmer la Cour européenne des droits de l’Homme[8], récemment suivie par la Cour de Justice dont l’appréciation autonome apparaît, néanmoins, plus laxiste[9]. En effet, cette dernière s’est prononcée, à plusieurs reprises, sur la notion d’autorité judiciaire compétente pour émettre un mandat d’arrêt européen tout en reconnaissant au procureur français, pourtant soumis au garde des sceaux, cette qualité, malgré les mises en garde de l’avocat général [10].
S’agissant du parquet européen, l’ensemble des textes ayant prôné son instauration, y compris le règlement adopté, exige textuellement son indépendance et son impartialité, même si à y regarder de plus près des failles concrètes sont à relever [Lire l’article sur le sujet]. Ces garanties statutaires ont notamment pour finalité de rassurer les États membres face à une autorité de poursuite de l’Union européenne dotée d’importantes prérogatives, empiétant nécessairement sur leur souveraineté.
L’exigence fonctionnelle de « l’exercice des plus hautes fonctions juridictionnelles »
Enfin, un dernier indice vient corroborer l’idée selon laquelle le parquet européen est une autorité judiciaire de l’Union européenne. La plupart des projets affirmaient que les futurs membres de l’organe devaient exercer dans leur pays respectif les « plus hautes fonctions juridictionnelles »[11], impliquant de dire le droit, en tranchant une question d’ordre juridique. Or cette dernière ne constituerait-elle pas l’apanage des juges[12] et non de l’autorité de poursuite, même si son rôle ne demeure pas pour autant indifférent à l’administration de la justice ? Cette expression avait certainement pour objectif d’appuyer son rattachement au corps judiciaire, mais elle finit, en réalité, par brouiller les rôles respectifs de l’autorité juridictionnelle avec ceux de l’autorité de poursuite. Afin de mettre un terme à cette ambiguïté, le règlement a abandonné l’usage de cette locution[13]. Par ce renoncement, le législateur européen scinde explicitement les fonctions du juge avec celles du procureur, tous deux membres du corps judiciaire de l’Union européenne en devenir.
[1] H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité judiciaire de l’Union européenne, Thèse Toulouse, 20 sept. 2019, § 29 et s.
[2] C. LAZERGES (dir.), Figures du parquet, PUF, Les voies du droit, 2006, p. 2.
[3] M. DELMAS-MARTY et J. VERVAELE, La mise en œuvre du Corpus Juris dans les États membres, Antwerpen-Groningen-Oxford, Itersentia, vol. 1, 2000-2001 p. 60.
[4] § 2.2 de la Contribution de Nice.
[5] § 4.1.1 du Livre vert.
[6] §3.3.9 de l’exposé des motifs de la proposition initiale.
[7] M. Delmas-Marty : « D’où l’utilité du ministère public européen, proposé par le projet corpus juris, comme garantie judiciaire et contrepoids nécessaire à l’Europe des polices. », M. DELMAS-MARTY, « L’espace judiciaire européen, laboratoire de la mondialisation », Recueil D., 2000, p. 421 et s. Pour des exemples plus récents, G. Taupiac-Nouvel et A. Botton : « Cette formule, issue du préambule du règlement n° 2017/1939 du 12 octobre 2017 créant le Parquet européen, exprime tant l’originalité que la sensibilité des règles instituant et régissant cette nouvelle autorité judiciaire européenne », G. TAUPIAC-NOUVEL et A. BOTTON, « coopération renforcée pour la création du Parquet européen – Aspects procéduraux du règlement (UE) du 11 oct. 2017, JCP G, n°5, 29 janv. 2018, doctr. 122. ; P. BEAUVAIS : « Le Parquet européen constitue-t-il pour autant une autorité judiciaire répressive européenne, signe – parmi d’autres – de l’apparition d’un État fédéral européen, ou bien reste-t-il un organe sui generis, bénéficiant de certaines prérogatives des ministères publics étatiques, mais ayant surtout le caractère inédit de ces nouvelles organisations supranationales fonctionnelles mises en place pour répondre aux besoins croissants de gouverner en commun certains sujets transfrontières ? », P. BEAUVAIS, « Lectures analytiques guidées. Quel modèle de Parquet européen ? », RSC 2018, p. 625. ; F. BAAB : « En devenant le partenaire privilégié de l’autorité judiciaire, l’OLAF devra entourer les enquêtes qu’il conduit de toutes les garanties nécessaires » ; C. HUET : « La France, fervent défenseur de l’idée d’une autorité judiciaire européenne en matière pénale », C. HUET, « Lectures appliquées comparées. Les autorités françaises et le parquet européen », RSC 2018, p. 653 et s ; H. CHRISTODOULOU, Le parquet européen : prémices d’une autorité judiciaire de l’Union européenne, Thèse Toulouse, 20 sept. 2019.
[8] Interprétation de l’article 5 § 3 et 6 § 1 de la CEDH.
[9] CJUE, 10 nov. 2016, Krzysztof Marek Poltorak, aff. C-452/16 ; CJUE, 10 nov. 2016, Ruslanas Kovalkovas, aff. C-477/16, Actualité du GDR-ELSJ, 17 juin 2017, obs. G. Taupiac-Nouvel ; Europe, n°1, janv. 2017, comm. 8, F. Gazin ; CJUE, 10 nov. 2016, Halil Ibrahim Özçelik, aff. C-453/16 ; CJUE, 27 mai 2019, Minister for Justice and Equality c/ OG et Minister for Justice and Equality c/ PI, aff. C-508/18, C-82/19 PPU, ccl de l’avocat général M. Campos Sanchez-Bordona, 30 avr. 2019 ; CJUE, 27 mai 2019, Minister for Justice and Equality c/ PF, aff. C-509/18, ccl de l’avocat général M. Campos Sanchez-Bordona, 30 avr. 2019 ; CJUE, 12 déc. 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (procureurs de Lyon et de Tours) (C-566/19 PPU et C-626/19 PPU), Openbaar Ministerie (parquet de Suède) (C-625/19 PPU) et Openbaar Ministerie (procureur du Roi de Bruxelles) (C-627/19 PPU), communiqué de presse n° 156/19, ccl de l’avocat général M. Manuel Campos Sanchez-Bordonna, 26 nov. 2019.
[10] CJUE, 12 déc. 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (procureurs de Lyon et de Tours) (C-566/19 PPU et C-626/19 PPU).
[11] Art. 18 du dispositif d’application de la version de Florence du Corpus juris, la première version n’employait pas cette formulation ; § 4.1.1 du Livre vert ; Art. 8 § 2, 9 § 2 et 10 § 2 de la proposition initiale. Néanmoins, est-ce une erreur de traduction ? La version anglaise emploie le terme de « judicial » et non de « jurisdictional ».
[12] J.-C SAINT PAU, « Le ministère public concurrence-t-il le juge du siège ? », Dr. pén., 2007, n°9 ; Y. CAPDEPON, « Le juge du siège et l’évolution de la procédure pénale : juger ou contrôler ? », Dr. pén., n° 9, étude n° 15, sept. 2007.
[13] Art. 14 § 2 c) concernant le chef du parquet européen ; Art. 16 § 1 c) concernant les procureurs européens ; Art. 17 § 2 concernant les procureurs européens délégués.
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