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Qui est le parquet européen ?

L’ouverture des frontières et l’apparition des nouvelles technologies a eu pour effet d’inciter les criminels à utiliser à leur avantage la stabilité des frontières juridiques. Face à la recrudescence de ces phénomènes transnationaux, la réponse pénale devait donc s’européaniser. Ainsi, l’Union s’est dotée d’une dimension répressive, non sans difficultés, tant par la création d’un droit pénal que par l’avènement d’autorité d’enquête et de poursuite européennes afin de lutter initialement contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union et ultérieurement ou concomitamment à sa mise en place, contre la criminalité grave transfrontière[1].

A ce titre le parquet européen devrait avoir pour incidences de métamorphoser la coopération judiciaire en matière pénale au regard de ses pouvoirs propres afin de diriger des enquêtes et déclencher des poursuites sur le territoire de l’Union. En effet, le ministère public européen, apparaissant désormais dans tous les systèmes pénaux d’Europe, ne pouvait se cantonner à une action strictement nationale. Il s’agira alors de mettre en lumière les raisons ayant justifié la création d’un tel organe avant de retracer les grandes étapes de son avènement dans la construction de l’Europe pénale.

Pour quelles raisons le parquet européen a-t-il été créé ?

L’Unité de coordination de la lutte antifraude a été créée, à la fin des années quatre-vingt, à la suite de détournements de fonds au sein de la Commission européenne, présidée alors par J. Santer. Dix ans plus tard, cette lutte administrative contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers s’est consolidée avec l’adoption de la « Convention PIF »[2] et de la création de l’Office de lutte antifraude ayant pour finalité de remplacer l’Unité[3]. Pour autant, il ne dispose d’aucun pouvoir coercitif, demeurant entre les mains des autorités étatiques. Partant, seul un cas sur cinq, entraînait une condamnation[4]. Les limites de ce système sont donc apparues hâtivement au regard de l’hétérogénéité des efforts répressifs internes. Ainsi, la nécessité pour l’Union de créer des autorités chargées de diriger les enquêtes et les poursuites a émergé. Après les attentats du 11 septembre 2002, l’institution d’Eurojust a été initiée afin de combattre la criminalité grave transfrontière[5]. Néanmoins, aucun pouvoir ne lui a été octroyé, son action demeure alors paralysée et dépendante du bon vouloir des autorités répressives des États. Un acteur de l’Union doté d’un véritable pourvoir d’action, transcendant ceux des États membres, apparaissait donc indispensable pour protéger dans un premier temps les intérêts financiers de l’Union [Lire l’article sur le sujet]. Ainsi, leur nature spécifique rendait fondamentale la définition d’une politique criminelle européenne afin d’y apporter une réponse pénale uniforme. Qui de mieux qu’une autorité de poursuite de l’Union pour remplir cette mission ? Concrètement le parquet européen serait en mesure de coordonner des enquêtes sans être affaibli par l’existence des frontières nationales ; ensuite, il faciliterait les échanges d’informations par le biais de sa structure singulière ; enfin, il jouerait un rôle déterminant, voire contraignant, dans la réalisation et la mise en cohérence des enquêtes menées au sein de différents États membres. En somme, au-delà de coopérer il aurait désormais la capacité d’instruire voire de poursuivre, et donc de bouleverser l’inertie des États.

De quelle façon le ministère public européen a-t-il été créé ?

Au temps où Mireille Delmas-Marty œuvrait à la réalisation du Corpus Juris, à la fin des années quatre-vingt-dix, l’idée d’un ministère public européen ne relevait que d’une utopie lointaine. Cette dernière faisait suite à l’une des dix propositions formulées par le Président du Parlement européen, Klaus Hänsch, lors de la Conférence interparlementaire de 1996.

parquet européen autorité judiciaire

Afin de les concrétiser, deux versions de l’étude[6], constituant les fondements idéologiques des différents projets tant académiques qu’institutionnels[7], ont été rédigées. La création du parquet européen a finalement été matérialisée au sein du projet de Traité constitutionnel européen avant d’être enterrée[8], avec lui, et ressuscitée par le traité de Lisbonne[9]. Partant, les prémices d’un système pénal fédéral semblaient posées avec un ministère public européen compétent pour faciliter voire réformer la coopération judiciaire. Or le droit primaire n’en faisait qu’une possibilité ; un règlement devait être adopté pour transformer cette hypothèse virtuelle en une réalité concrète. Ainsi, une procédure législative particulière était exigée, elle nécessitait l’unanimité du Conseil ainsi que l’accord du Parlement européen. Cependant, en l’absence d’unanimité, une coopération renforcée, supposant l’alliance d’un groupe d’au moins neuf États[10], pouvait être mise en œuvre. Cette situation ne favoriserait-elle pas l’émergence d’un Espace de liberté de sécurité et de justice à géométrie variable ? Afin de combler les lacunes de l’article 86 du TFUE, l’adoption du règlement était attendue. Durant l’été 2013, un texte a donc été proposé par la Commission. Or, les Parlements nationaux l’ont rejeté par le biais du mécanisme dit du « carton jaune »[11]. Ce dernier leur a été offert par le traité de Lisbonne, afin de mettre en garde les institutions de l’Union sur ce qu’ils considèrent être une ingérence excessive dans le cadre d’une compétence partagée[12]. Ils estimaient globalement que la Commission aurait dû renforcer les institutions existantes, sans pour autant créer un nouvel organe et que l’organisation centrale ne représentée pas suffisemment l’ensemble des États [Lire l’article sur le sujet].

A quel moment le procureur européen a-t-il été créé ?

Laura Kövesi Cheffe parquet européen

Cette riposte n’est en réalité que l’expression du souverainisme étatique. Sous la contrainte la Commission a donc réécrit sa proposition dans un contexte économique, financier, politique et institutionnel peu propice à sa création. Finalement, le 12 octobre 2017, le règlement à l’origine de la création du parquet européen, constituant le fruit d’un compromis délicat et sibyllin, a été adopté.

Ce dernier est alors devenu une réalité pour vingt-deux États membres : d’abord pour l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ; ensuite pour l’Autriche, la Lettonie, l’Estonie et de l’Italie ; et enfin pour les Pays-Bas et Malte. Il ne reste plus qu’à convaincre trois États : la Suède, la Hongrie et la Pologne ; le Danemark, disposant d’un statut particulier depuis le référendum sur le traité de Maastricht, et l’Irlande, ayant mis en œuvre le mécanisme de l’« opt-out », ne sont pas prêts à participer au projet, favorisant une Union européenne à deux vitesses. Dès lors, l’instauration du parquet européen, à l’origine d’un compromis pluriels, ne relève plus d’un mythe, mais devient, une réalité empreinte de métamorphose au sein de l’Union.

À la lumière du droit dérivé, il devra fonctionner dès le 20 novembre 2020[13]. Ainsi, tant l’Union européenne que les États membres préparent, dès à présent, l’immixtion du parquet européen dans leur système judiciaire : alors que la Cheffe de l’organe, Laura Kövesi, a été nommée le 24 septembre 2019, non sans difficulté[14], et que le règlement intérieur organisant le futur organe demeure attendu, les États membres, quant à eux, modifient leurs droits nationaux afin d’accueillir au mieux les procureurs européens délégués. À ce titre, le Parlement français, après la crise sanitaire, devra adopter le projet de loi[15], présenté par le gouvernement le 29 janvier 2020, dont les incidences sur la procédure pénale nationale ne peuvent être que relevées [Lire l’article sur le sujet]

[1] Art. 86 §4 TFUE.

[2] Acte du Conseil du 26 juill. 1995 établissant la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, JO, C 316, 27 nov. 1995et ses protocoles additionnels.

[3] Décision 2013/478/UE de la Commission du 27 septembre 2013 modifiant la décision 1999/352/CE, CECA, Euratom de la Commission du 28 avril 1999 instituant l’Office européen de lutte antifraude.

[4] Commission européenne, mémo, chaque euro compte — foire aux questions sur le Parquet européen, Bruxelles, 17 juill. 2013.

[5] Art. 85 TFUE ; Règlement (UE), 2018/1727 du 14 nov. 2018 du Parlement européen et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust).

[6] M. DELMAS-MARTY (dir.), Corpus Juris portant des dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, Paris, Economica, 1997 et 2000 (dite version de Florence).

[7] Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européen, COM (2001) 715 final ; Contribution complémentaire de la Commission à la conférence intergouvernementale sur les réformes institutionnelles, « La protection pénale des intérêts financiers communautaires : un Procureur européen », 29 septembre 2000, COM (2000) 608 ; Article III-274 du traité portant constitution pour l’Europe ; Article 86 du TFUE ; Proposition de règlement du Conseil du 17 juillet 2013, portant création du Parquet européen, COM (2013) 534 final ; K. LIGETI (dir.), Toward a Prosecutor for the european Union a analysis comparative, Vol 1, hart publishing, Oxford, 2012 ; K. LIGETI (dir.), Toward a Prosecutor for the european Union draft rules of procedure, Vol 2, hart publishing, Oxford, 2013 ; K. LIGETI (dir.), Règles modèles européennes de procédure du futur parquet européen ; Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, 12 oct. 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen (ci-après Règlement adopté).

[8] Art. III-274 du traité portant Constitution pour l’Europe.  

[9] Art. 86 TFUE.

[10] Art. 86 §1 TFUE.

[11] Treize États membres l’ont émis : Vouli ton Antiprosopon chypriote (2 voix) Sénat tchèque (1 voix) Sénat français (1 voix) Országgylés hongrois (2 voix) Chambres de l’Oireachtas irlandais (les deux chambres – 2 voix) Kamra tad-Deputati maltaise (2 voix) Camera Deputailor roumaine (1 voix) Dravni zbor slovène (1 voix) Riksdag suédois (2 voix) Eerste Kamer néerlandaise (1 voix) Tweede Kamer néerlandaise (1 voix) House of Commons britannique (1 voix) House of Lords britannique (1 voix), Soit un total de 18 votes là où le seuil à atteindre au regard de l’article 7 § 2 du protocole (n°2) était de 14 voix. En effet, le seuil du « carton jaune » est atteint dès lors que les avis motivés représentent au moins un quart de toutes les voix attribuées aux parlements nationaux soit 14 voix sur 56 des voix attribuées aux parlements nationaux, Commission européenne, Rapport annuel 2013 sur la subsidiarité et la proportionnalité, 5 août 2014.

[12] Protocole (n°2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au TUE et au TFUE par le Traité de Lisbonne, 14 déc. 2007, JOUE, C 83/206, 30 mars 2010.

[13] A savoir trois ans après l’entrée en vigueur du règlement soit le 20 novembre 2017.

[14] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/10/14/eu-public-prosecutor-s-office-eppo-laura-codruta-kovesi-to-become-the-first-european-chief-prosecutor/

[15] Projet de loi, http://www.senat.fr/leg/pjl19-283.html